[FR] Une sénatrice UDI propose d'interdire les distributeurs automatiques de cryptomonnaies

Les cryptomonnaies deviennent de plus en plus populaire, et partout dans le monde, les États commencent à vouloir réguler ce marché. Et bien évidemment, la France, pays de la régulite aïguë, n'échappe pas à la règle.

En novembre dernier, une députée UDI, Nathalie Goulet, a déposé une proposition de loi visant à interdire l'installation et l'utilisation de distributeurs de cryptomonnaies en France. Décryptage.


Un amalgame grossier entre cybercriminalité et cryptomonnaies

Comme beaucoup de journalistes et de politiciens mal renseignés, Nathalie Goulet fait un amalgame entre l'utilisation des cryptomonnaies et la cybercriminalité.

« La cybercriminalité est un fardeau se développant de jour en jour. Cette cybercriminalité a dernièrement été facilitée par la naissance des crypto-monnaies, échappant à tout cadre juridique. L’instauration de mesures de restrictions quant à l’usage de ces crypto-monnaies semble donc inéluctable »

L'argumentaire de Nathalie Goulet est caricatural et fallacieux. Pourquoi ? D'abord parce qu'elle met tous utilisateurs de cryptomonnaies dans le même panier. Certes, il y a bien sûr des gens qui utilisent des cryptos pour faire des achats illégaux, mais cela reste un phénomène marginal. Parmi les gens qui utilisent des cryptos, il y a beaucoup plus d'investisseurs, de traders et de spéculateurs que de cybercriminels. Mais selon Nathalie Goulet, il faudrait interdire les cryptomonnaies parce qu'une minorité en fait un usage illicite.

Rappelons au passage que les cybercriminels utilisent souvent des numéros de cartes bancaires volés pour certaines de leurs transactions. Rappelons aussi que les délinquants et criminels en Europe effectuent leurs transactions principalement en euros, et en cash, bien plus que les cryptomonnaies. Faut-il pour autant interdire l'utilisation d'argent liquide ou même interdire l'euro à cause d'une petite minorité de la population ? Cela serait évidemment absurde.


L'ignorance de Nathalie Goulet sur le fonctionnement des cryptomonnaies

Même si la sénatrice s'est un peu renseigné sur les chiffres des cryptomonnaies (elle a quand même pris des chiffres sur Coinmarketcap), elle ne comprend pas bien comment elles fonctionnent et à croire qu'elles ont toutes la même fonction.

Les caractéristiques d'intraçabilité des crypto-monnaies en ont fait un outil de prédilection pour les actes de cybercriminalité comme la vente de stupéfiants, la pédopornographie et le financement du terrorisme. En effet, les crypto-monnaies sont omniprésentes sur le Darknet, puisqu'elles permettent la commission de cyber-infractions sans risque de traçabilité.

Cette phrase illustre bien son manque d'informations sur le sujet. Le Bitcoin est souvent montré comme une monnaie utilisée par les cybercriminels à cause de quelques affaires passées, mais dans les faits, le Bitcoin n'est plus vraiment utilisé par ces milieux. Il y a plusieurs raisons à cela.

La première, c'est que le Bitcoin n'est pas aussi anonyme qu'on le croit. Avec le Bitcoin, il n'y a pas de nom directement associé à un compte comme c'est le cas avec le système bancaire. Quand une transaction est effectuée sur le réseau Bitcoin, une certaine somme d'argent est transférée d'une adresse A à une adresse B. Les utilisateurs A et B n'ont pas besoin de connaître l'identité de l'autre pour effectuer ou recevoir la transaction. Cependant, à partir du moment où vous savez à qui appartient une adresse, il est possible de remonter toutes les transactions effectuées et de voir les montants envoyés et reçus. Nathalie Goulet ne semble pas avoir compris que le Bitcoin et d'autres cryptomonnaies fonctionnent comme un registre de comptes partagé et visiblement publiquement sur la blockchain.

Deuxièmement, il existe des cryptomonnaies beaucoup plus anonymes que le Bitcoin. Mais malgré cela, elles ne rendent pas les cyberdélinquants intraçeables. Il y a quelques mois, les autorités américaines ont fermé un site qui vendait des drogues sur Internet contre des cryptomonnaies.

Nathalie Goulet semble mal renseignée sur l'usage des cryptomonnaies, mais aussi sur les régulations qui existent à l'étranger. Elle prétend dans sa proposition de loi que d'autres pays ont réussi à vraiment contrôler le marché des cryptomonnaies.

"Les crypto-monnaies se sont démocratisées et font irruption dans la vie économique et financière. Il semble donc difficilement envisageable d'arrêter leur essor, bien que cela ait été fait dans certains pays. En effet, les crypto-monnaies ont été interdites ou régulées en Thaïlande, en Russie, en Chine, en Argentine, en Équateur et en Bolivie."

Ça, c'est la théorie. Mais dans la pratique... les mesures de réglementation dans ces pays n'ont pas été aussi efficaces qu'escomptées. La Chine avait déjà tenté de limiter les transaction en bitcoins en 2013, ça n'avait pas vraiment fonctionné, et le marché chinois a continué de grossir. En septembre 2017, les autorités chinoises ont imposé la fermeture de certaines plateformes de trading et l'interdiction temporaire des ICO, mais ça n'a pas empêché les gens de continuent à échanger des cryptos entre eux, tout simplement car celles-ci fonctionnent de manière décentralisée et sans frontières. La Thaïlande et la Russie ont envisagé certaines mesures de régulations, mais elles sont quand même rendues compte que les ICO présentaient un potentiel économique. Il suffit de voir le succès qu'a eu la cryptomonnaie thaïlandaise OmiseGo...
L'Équateur a interdit les cryptomonnaies privées en 2014, et malgré tout, leur utilisation n'a fait qu'augmenter. Quant à la Bolivie, à part s'en prendre aux personnalités qui faisaient publiquement la promotion des cryptomonnaies, elle n'a pas réussi grand chose pour limiter l'usage des cryptos...

Vouloir limiter l'utilisation de monnaies décentralisées, ça risque d'être encore moins efficace que de pouvoir limiter le téléchargement en P2P...


L'ignorance de Nathalie Goulet sur la diversité des cryptos.

Même si elle a vu qu'il existait des centaines de cryptomonnaies, Nathalie Goulet ne semble pas avoir compris qu'elles avaient des utilisations diverses et variées. Dans sa proposition de loi, elle réduit l'utilisation des cryptomonnaies aux paiements "anonymes" sur Internet.

Mais la réalité, c'est que les cryptomonnaies ne servent pas qu'à faire des transactions anonymes et illégales sur Internet. Si vous vous intéressez à la décentralisation, vous constater que beaucoup d'entreprises voient apparaîtrent des alternatives décentralisées à leurs services. Désormais, grâce à la blockchain, il y a des applications et des services décentralisés : des réseaux sociaux (comme Steemit), des plateformes d'hébergement de vidéos, des applications pour smartphone (comme avec Status), des plateformes de vente en particuliers, des alternatives à Airbnb (regardez la vidéo de @roxane), de la distribution d'énergie photovoltaïque ou encore des initiatives pour décentraliser Internet, etc.

Cette diversité ne semble pas avoir été remarqué par Nathalie Goulet. Interdire les cryptomonnaies, ça serait interdire toutes ces différentes initiatives de décentralisation. Peut-être que ça ne se gênerait pas certains parlementaires... Cependant, il faut aussi bien se rendre compte que la blockchain représente un potentiel économique énorme, et beaucoup d'entreprises, des start-ups aux géants cotés en bourse, l'ont compris.

Vouloir limiter les cryptomonnaies en France, ça serait pousser les start-ups françaises qui travaillent sur la blockchain à partir à l'étranger... et donc à payer leurs impôts ailleurs. Certains pays ont d'ailleurs très bien compris qu'ils pouvaient tirer profit des régulations excessives imposées dans d'autres pays. Quand les autorités chinoises ont interdit les ICO et imposé la fermeture des plateformes d'échange chinoises, plusieurs entreprises innovantes chinoises ont demandé de se tourner vers Hong-Kong et le Japon. Le Japon est d'ailleurs beaucoup plus ouvert à la démocratisation des cryptomonnaies. Depuis courant 2017, le Bitcoin est même accepté comme un moyen de paiement légal !


Très peu de distributeurs en France

Au Japon, il y a beaucoup plus de distributeurs de bitcoins qu'en France, et ça ne semble pas poser de problème particulier. Le Japon est clairement en avance sur l'Hexagone... Si on regarde la carte fournie par CoinATMRadar, on constate vite une chose : il y a très peu de distributeurs automatiques de cryptomonnaies en France. Si on regarde chez nos voisins européens, on peut voir qu'il y a bien plus de distributeurs au Royaume-Uni, en Espagne, en Suisse et en Autriche qu'en France. D'après la carte, il y a davantage de distributeurs à Londres, Madrid ou Vienne que dans toute la France ! En Autriche par exemple, depuis quelques mois, il est possible d'acheter des cryptomonnaies dans certains bureaux de poste. Je vous invite à lire mon article d'il y a quelques mois pour plus d'informations à ce sujet.

Au niveau du nombre d'ATM, la France (Paris y compris) est clairement à la traîne par rapport à certains de ses voisins européens. Pourtant, on a une sénatrice qui veut interdire les distributeurs de cryptomonnaies alors que ceux-ci sont très peu nombreux et que des exemples étrangers montrent que ces distributeurs ne sont pas un vrai problème...

Au passage, faisons remarquer que sur beaucoup de distributeurs de cryptomonnaies, pour faire un dépôt ou retirer de l'argent, il faut utiliser une carte bancaire. Donc ça n'est pas forcément anonyme... De plus, les fabricants d'ATM de bitcoins se sont arrangés pour que leurs produits ne permettent pas de retirer de trop grosses sommes...


Et si le problème, c'était plutôt les propositions de nos parlementaires ?

Dans sa propositon de loi, Nathalie Goulet considère l'apparition de distributeurs de cryptomonnaies comme un "phénomène inquiétant". Mais ce qui est inquiétant, c'est surtout le fait que des parlementaires proposent des lois sur des sujets qu'ils ne connaissent pas bien ou qu'ils ne connaissent pas du tout. C'est d'autant plus inquiétant qu'ils proposent des mesures de contrôle strictes (identification par empreinte palmaire pour les retraits ou interdiction des ATM de cryptos) qui sont dangereuses pour les libertés individuelles et les entreprises innovantes... À force de trop vouloir réguler, il ne faudra pas se plaindre si le phénomène de fuite des cerveaux s'accentue en France...


Sources

https://www.nextinpact.com/news/105658-au-senat-proposition-loi-pour-interdire-distributeurs-crypto-monnaie.htm
http://www.senat.fr/leg/ppl17-097.html
https://news.bitcoin.com/use-bitcoin-ecuador-grow-government-ban/
https://www.cnbc.com/video/2017/11/06/japan-made-bitcoin-a-legal-currency-and-now-its-more-popular-than-ever.html

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